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Cours et détours

Sujet LMA : Synthèse de documents

31 Octobre 2014 , Rédigé par J.-Luc Martine Publié dans #Le mythe du bon sauvage au 18ème siècle

Sujet de L3 pour les LMA
« Le mythe du bon sauvage au 18e siècle »
Synthèse de documents


La figure du bon sauvage au 18ème siècle


Vous ferez une synthèse de ces trois documents, en envisageant par exemple les éléments qui structurent le personnage, sa fonction critique du sauvage et ses relations avec l’idée de nature.






Texte 1 : Arlequin sauvage

SCÈNE 3


LELIO, ARLEQUIN, faisant mine au parterre, sans rien dire, ni regarder son maître.
LELIO, à part. − Le voilà bien fâché; je veux me donner la comédie tout entière. (Haut.) Eh bien ! Arlequin, voici un bon pays, et où les gens sont fort aimables, comme tu vois ? (Arlequin le regarde sans répondre.) Tu ne dis mot; tu devrais bien au moins me remercier de t’avoir empêché d’être pendu.
ARLEQUIN. − Que le diable t’emporte, toi, tes frères, et ton pays !
LELIO. − Eh pourquoi me souhaites-tu un si triste sort ?
ARLEQUIN. − Pour te punir de m’avoir conduit dans un pays civilisé, où la bonté que vous faites semblant d'avoir n’est qu’un piège que vous tendez à la bonne foi de ceux que vous voulez attraper. Je vois clairement que tout est faux chez vous.
LELIO. − C’est que tu ne sais pas encore ce qu’il faut savoir pour nous trouver aimables; mais je veux te l’apprendre.
ARLEQUIN. − Tu es un babillard, et c’est tout; mais parle, parle, puisque tu en as tant d’envie. Aussi bien je suis curieux de voir comment ru t’y prendras pour me prouver que ce marchand n’est pas un fripon.
LELIO. − Rien n’est plus facile. Nous ne vivons point ici en commun, comme vous faites dans vos forêts; chacun y a son bien, et nous ne pouvons user que de ce qui nous appartient; c’est pour nous le conserver que les lois sont établies : elles punissent ceux qui prennent le bien d’autrui sans le payer, et c’est pour l’avoir fait que l’on voulait te pendre.
ARLEQUIN. − Fort bien ! Mais que donne-t-on pour ce que l’on prend ?
LELIO. − De l’argent.
ARLEQUIN. − Qu’est-ce que cela, de l’argent ?
LELIO. − En voilà.
ARLEQUIN. − C’est là de l’argent ? Cela est drôle. (Il en porte à la dent.) Ah ! il est dur comme un diable.
LELIO. − On ne le mange pas.
ARLEQUIN. − Qu’en fait-on donc ?
LELIO. − On le donne pour des choses dont on a besoin et l’on pourrait presque l’appeler une caution, puisque avec cet argent on trouve partout tout ce qu’on veut.
ARLEQUIN. − Qu'est-ce qu’une caution ?
LELIO. − Lorsqu’un homme a donné une parole, et que l’on ne se fie pas à lui, pour plus grande sûreté on lui demande caution, c’est-à-dire un autre homme qui promet de remplir la promesse que celui-là a faite, s’il y manque.
ARLEQUIN. − Fi ! au diable ! éloigne-toi de moi.
LELIO. − Pourquoi ?
ARLEQUIN. − Parce que je crains les gens qui ont besoin de caution.
LELIO. − Je n’en ai pas besoin, moi.
ARLEQUIN. − Je n’en sais rien, et je voudrais caution pour te croire, après toutes les menteries que tu m’as dites. Mais cet argent n’est pas un homme, et par conséquent il ne peut donner de parole; comment donc peut-il servir de caution ?
LELIO. − Il en sert pourtant, et il vaut mieux que toutes les paroles du monde.
ARLEQUIN. − Votre parole ne vaut donc guère, et je ne m’étonne plus si tu m’as dit tant de menteries; mais je n’en serai plus la dupe; et si tu veux que je te croie, donne-moi des cautions.
LELIO. − Je le veux : en voilà.
ARLEQUIN. − Les vilaines gens que ceux avec qui il faut prendre de telles précautions ! J’en ai honte pour lui; mais cela vaut encore mieux que d’être pendu.






Texte 2 : Dialogue de M. de Lahontan avec un sauvage


LAHONTAN - Vraiment tu fais là de beaux contes et de belles distinctions! Est-ce que tu n'as pas l'esprit de concevoir depuis vingt ans que ce qui s'appelle raison, parmi les Hurons, est aussi raison parmi les Français?
Il est bien sûr que tout le monde n'observe pas ces lois, car, si on les observait, nous n'aurions que faire de châtier personne; alors ces juges que tu as vus à Paris et à Québec, seraient obligés de chercher à vivre par d'autres voies.
Mais comme le bien de la société consiste dans la justice et dans l'observance de ces lois, il faut châtier les méchants et récompenser les bons; sans cela, tout le monde s'égorgerait, on se pillerait, on se diffamerait, en un mot, nous serions les gens du monde les plus malheureux.
ADARIO - Vous l'êtes assez déjà, je ne conçois pas que vous puissiez l'être davantage. Quel genre d'hommes sont les Européens! Quelle sorte de créatures qui font le bien par force et n'évitent à faire le mal que par la crainte des châtiments?
Si je te demandais ce que c'est qu'un homme, tu me répondrais que c'est un Français, et moi je te prouverai que c'est plutôt un castor. Car un homme n'est pas homme à cause qu'il est planté droit sur ses deux pieds, qu'il sait lire et écrire, et qu'il a mille autres industries.
J'appelle un homme celui qui a un penchant naturel à faire le bien et qui ne songe jamais à faire du mal. Tu vois bien que nous n'avons point des juges; pourquoi? parce que nous n'avons point de querelles ni de procès.
Mais pourquoi n'avons-nous pas de procès? C'est parce que nous ne voulons point recevoir ni connaître l'argent. Pourquoi est-ce que nous ne voulons pas admettre cet argent?
C'est parce que nous ne voulons pas de lois, et que depuis que le monde est monde nos pères ont vécu sans cela. Au reste, il est faux, comme je l'ai déjà dit, que le mot de lois signifie parmi vous les choses justes et raisonnables, puisque les riches s'en moquent et qu'il n'y a que les malheureux qui les suivent.
Venons donc à ces lois ou choses raisonnables. Il y a cinquante ans que les gouverneurs du Canada prétendent que nous soyons sous les lois de leur grand capitaine. Nous nous contentons de nier notre dépendance de tout autre que du grand Esprit; nous sommes nés libres et frères unis, aussi grands maîtres les uns que les autres; au lieu que vous êtes tous des esclaves d'un seul homme.
Si nous ne répondons pas que nous prétendons que tous les Français dépendent de nous, c'est que nous voulons éviter des querelles. Car sur quel droit et sur quelle autorité fondent-ils cette prétention? Est-ce que nous nous sommes vendus à ce grand capitaine?
Avons-nous été en France vous chercher?
C'est vous qui êtes venus ici nous trouver.
Qui vous a donné tous les pays que vous habitez? De quel droit les possédez-vous?
Ils appartiennent aux Algonkins depuis toujours. Ma foi, mon cher frère, je te plains dans l'âme.
Crois-moi, fais-toi Huron. Car je vois la différence de ma condition à la tienne. je suis maître de mon corps, je dispose de moi-même, je fais ce que je veux, je suis le premier et le dernier de ma nation; je ne crains personne et ne dépends uniquement que du grand Esprit. Au lieu que ton corps et ta vie dépendent de ton grand capitaine; son vice-roi dispose de toi, tu ne fais pas ce que tu veux, tu crains voleurs, faux témoins, assassins, etc.
Tu dépends de mille gens que les emplois ont mis au-dessus de toi. Est-il vrai ou non ? sont-ce des choses improbables et invisibles ?
Ha ! mon cher frère, tu vois bien que j'ai raison; cependant, tu aimes encore mieux être esclave français, que libre Huron. Ah! le bel homme qu'un Français avec ses belles lois, qui croyant être bien sage est assurément bien fou! puisqu'il demeure dans l'esclavage et dans la dépendance, pendant que les animaux eux-mêmes jouissant de cette adorable liberté, ne craignent, comme nous, que des ennemis étrangers.
LAHONTAN - En vérité, mon ami, tes raisonnements sont aussi sauvages que toi. Je ne conçois pas qu'un homme d'esprit et qui a été en France et à la Nouvelle-Angleterre puisse parler de la sorte. Que te sert-il d'avoir vu nos villes, nos forteresses, nos palais, nos arts, notre industrie et nos plaisirs ?






Texte 3 : Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes


Parmi les passions qui agitent le coeur de l'homme, il en est une ardente, impétueuse, qui rend un sexe nécessaire à l'autre, passion terrible qui brave tous les dangers, renverse tous les obstacles, et qui dans ses fureurs semble propre à détruire le genre humain qu'elle est destinée à conserver. Que deviendront les hommes en proie à cette rage effrénée et brutale, sans pudeur, sans retenue, et se disputant chaque jour leurs amours au prix de leur sang ?
Il faut convenir d'abord que plus les passions sont violentes, plus les lois sont nécessaires pour les contenir : mais outre que les désordres et les crimes que celles-ci causent tous les jours parmi nous montrent assez l'insuffisance des lois à cet égard, il serait encore bon d'examiner si ces désordres ne sont point nés avec les lois mêmes ; car alors, quand elles seraient capables de les réprimer, ce serait bien le moins qu'on en dût exiger que d'arrêter un mal qui n'existerait point sans elles. Commençons par distinguer le moral du physique dans le sentiment de l'amour. Le physique est ce désir général qui porte un sexe à s'unir à l'autre ; le moral est ce qui détermine ce désir et le fixe sur un seul objet exclusivement, ou qui du moins lui donne pour cet objet préféré un plus grand degré d'énergie. Or il est facile de voir que le moral de l'amour est un sentiment factice, né de l'usage de la société, et célébré par les femmes avec beaucoup d'habileté et de soin pour établir leur empire, et rendre dominant le sexe qui devrait obéir. Ce sentiment étant fondé sur certaines notions du mérite ou de la beauté qu'un sauvage n'est point en état d'avoir, et sur des comparaisons qu'il n'est point en état de faire, doit être presque nul pour lui. Car comme son esprit n'a pu se former des idées abstraites de régularité et de proportion, son coeur n'est point non plus susceptible des sentiments d'admiration et d'amour qui, même sans qu'on s'en aperçoive, naissent de l'application de ces idées ; il écoute uniquement le tempérament qu'il a reçu de la nature, et non le goût qu'il n'a pu acquérir, et toute femme est bonne pour lui.
Bornés au seul physique de l'amour, et assez heureux pour ignorer ces préférences qui en irritent le sentiment et en augmentent les difficultés, les hommes doivent sentir moins fréquemment et moins vivement les ardeurs du tempérament et par conséquent avoir entre eux des disputes plus rares, et moins cruelles. L'imagination, qui fait tant de ravages parmi nous, ne parle point à des coeurs sauvages ; chacun attend paisiblement l'impulsion de la nature, s'y livre sans choix, avec plus de plaisir que de fureur, et le besoin satisfait, tout le désir est éteint.
C'est donc une chose incontestable que l'amour même, ainsi que toutes les autres passions, n'a acquis que dans la société cette ardeur impétueuse qui le rend si souvent funeste aux hommes, et il est d'autant plus ridicule de représenter les sauvages comme s'entr'égorgeant sans cesse pour assouvir leur brutalité, que cette opinion est directement contraire à l'expérience, et que les Caraïbes, celui de tous les peuples existants qui jusqu'ici s'est écarté le moins de l'état de nature, sont précisément les plus paisibles dans leurs amours, et les moins sujets à la jalousie, quoique vivant sous un climat brûlant qui semble toujours donner à ces passions une plus grande activité. A l'égard des inductions qu'on pourrait tirer dans plusieurs espèces d'animaux, des combats des mâles qui ensanglantent en tout temps nos basses-cours ou qui font retentir au printemps nos forêts de leurs cris en se disputant la femelle, il faut commencer par exclure toutes les espèces où la nature a manifestement établi dans la puissance relative des sexes d'autres rapports que parmi nous : ainsi les combats des coqs ne forment point une induction pour l'espèce humaine. Dans les espèces où la proportion est mieux observée, ces combats ne peuvent avoir pour causes que la rareté des femelles eu égard au nombre des mâles, ou les intervalles exclusifs durant lesquels la femelle refuse constamment l'approche du mâle, ce qui revient à la première cause ; car si chaque femelle ne souffre le mâle que durant deux mois de l'année, c'est à cet égard comme si le nombre des femelles était moindre des cinq sixièmes. Or aucun de ces deux cas n'est applicable à l'espèce humaine où le nombre des femelles surpasse généralement celui des mâles, et où l'on n'a jamais observé que même parmi les sauvages les femelles aient, comme celles des autres espèces, des temps de chaleur et d'exclusion. De plus parmi plusieurs de ces animaux, toute l'espèce entrant à la fois en effervescence, il vient un moment terrible d'ardeur commune, de tumulte, de désordre, et de combat : moment qui n'a point lieu parmi l'espèce humaine où l'amour n'est jamais périodique. On ne peut donc pas conclure des combats de certains animaux pour la possession des femelles que la même chose arriverait à l'homme dans l'état de nature ; et quand même on pourrait tirer cette conclusion, comme ces dissensions ne détruisent point les autres espèces, on doit penser au moins qu'elles ne seraient pas plus funestes à la nôtre, et il est très apparent qu'elles y causeraient encore moins de ravage qu'elles ne font dans la société, surtout dans les pays où les moeurs étant encore comptées pour quelque chose, la jalousie des amants et la vengeance des époux causent chaque jour des duels, des meurtres, et pis encore ; où le devoir d'une éternelle fidélité ne sert qu'à faire des adultères, et où les lois mêmes de la continence et de l'honneur étendent nécessairement la débauche, et multiplient les avortements. Concluons qu'errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre, et sans liaisons, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul désir de leur nuire, peut-être même sans jamais en reconnaître aucun individuellement, l'homme sauvage sujet à peu de passions, et se suffisant à lui-même, n'avait que les sentiments et les lumières propres à cet état, qu'il ne sentait que ses vrais besoins, ne regardait que ce qu'il croyait avoir intérêt de voir, et que son intelligence ne faisait pas plus de progrès que sa vanité. Si par hasard il faisait quelque découverte, il pouvait d'autant moins la communiquer qu'il ne reconnaissait pas même ses enfants. L'art périssait avec l'inventeur ; il n'y avait ni éducation ni progrès, les générations se multipliaient inutilement ; et chacune partant toujours du même point, les siècles s'écoulaient dans toute la grossièreté des premiers âges, l'espèce était déjà vieille, et l'homme restait toujours enfant.

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