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Cours et détours

Éléments pour un corrigé de la dissertation (1) Remarques générales

28 Février 2015 , Rédigé par J.-Luc Martine Publié dans #La vie de Marianne - Agrégation 2015

Remarques sur la dissertation et éléments de corrigé




Le sujet était le suivant :


Au début de la 8e partie, le personnage de Marianne écrit :

" [...] C'est qu’au lieu d’une histoire véritable, vous avez cru lire un roman. Vous avez oublié que c’était ma vie que je vous racontais : voilà ce qui a fait que Valville vous a tant déplu ; et dans ce sens- là, vous avez eu raison de me dire : Ne m’en parlez plus. Un Héros de Roman infidèle ! on n’aurait jamais rien vu de pareil. Il est réglé qu’ils doivent tous être constants ; on ne s’intéresse à eux que sur ce pied- là, et il est d’ailleurs si aisé de les rendre tels ! il n’en coûte rien à la nature, c’est la fiction qui en fait les frais".

Vous direz dans quelle mesure ces réflexions éclairent votre lecture de l'œuvre.




Remarques générales


Avant de faire une analyse du sujet, je vous propose deux ensembles de considérations plus générales. Le premier ensemble concerne le type de sujet proposé (issus du roman lui-même) et envisage quelques premières remarques sur la part réflexive de la VDM ; le second ensemble s’attache à l’idée d’imitation vraisemblable issue d’Aristote, et en référence à laquelle laquelle Marivaux, comme tout l’âge classique, compose ses fictions. Dans les deux cas, il s’agira de poser quelques jalons pour penser les relations entre fiction et vérité dans le roman de Marivaux.


Sur les réflexions de Marianne


Le sujet est tiré du texte, non d’un ouvrage critique, ce qui a des conséquences : là où la connaissance de l’ouvrage dont il est tiré et de son contexte proche ou élargi n’est pas requis pour un sujet habituel (cela peut même parfois présenter un risque : celui de ne pas tenir compte de ce qui fait précisément sujet), cette connaissance est ici présupposée. Cela n’implique pas, bien entendu, qu’il soit possible remplacer ce sujet par ce qui le suit ou le précède, ni que l’on puisse en déformer ou en déplacer le propos. Cependant, les éléments qui permettent de le situer (dans le récit, dans ses enjeux, dans ses formes, dans son histoire ou son contexte, etc.) ont leur importance lorsqu’ils contribuent à sa compréhension et à la détermination des problèmes qu’il implique.


Le principal de ces éléments concerne son statut en regard de ce qui s’y trouve formulé comme une thèse, ou tout au moins comme une proposition, ou encore un avis ou une opinion. Il y a d’une part un discours de personnage, impliqué dans l’économie de l’oeuvre, qui se trouve arbitrairement détaché des structures et de la totalité où il prend sens. Cela peut influer sur son horizon de vérité, si l’on peut dire. Pour aller vite : doit-on croire Marianne ? Est-ce Marivaux qui parle (qui écrit) à la place du personnage, ou avec lui ? On peut envisager deux pôles extrêmes qui délimitent l’espace des possibilités de sens. Ce discours sur le roman est-il une contribution à l’intelligence de la nature véritable du texte, de l’entreprise romanesque de Marivaux, voire du genre roman ? Il peut alors être détaché de l’oeuvre sans que sa signification s’en trouve modifiée, il peut être compris sans être interprété. Ou bien sommes-nous en face d’un piège, d’un leurre, qui doit alors être déjoué ? Cette alternative, obtenue ici en forçant le trait, engage bien entendu notre attitude à l’égard des propos qu’il faudra expliciter et commenter. Mais elle est déjà, par ailleurs, une voie d’accès au problème central : celui de la relation du texte avec l’idée de vérité.


Par sa nature, ce passage appartient aux composantes discursives et réflexives du roman. Aussi, comprendre et commenter ces quelques lignes nous engage dans une entreprise plus ambitieuse, et périlleuse : comprendre le statut de ces éléments de l’oeuvre. S’agit-il de l’expression, variée, libre, bigarrée si l’on veut, d’une pensée souple et mobile, mais dont le foyer serait cependant l’ambition unifiante de dire vrai ? Peut-on alors donner crédit à une Marianne philosophe dont le discours effacerait par moments le caractère individualisant et particularisant de sa première personne pour le porter vers un « je » philosophique universalisant ? Il se produirait alors ici quelque-chose de comparable à ce qui se passe par exemple à certains endroits des Lettres Persanes de Montesquieu, où le discours du personnage laisse place à celui de l’auteur en tant que philosophe. Le « je » de Marianne peut-il laisser place à un « je » philosophique (celui du Descartes des Méditations, par exemple) ? Plus modestement, cette voix de femme laisse-t-elle entendre celle de l’auteur, non comme personne mais comme intention ? Sommes-nous en présence d’une théorie du roman qui serait celle de Marivaux et dont LVDM serait la mise en œuvre (dont la pratique pourrait par ailleurs s’écarter de la théorie qui la porte ou la décrit) ? Le propos du personnage renverrait alors à un autre foyer de sens, plus localisé, lié à une entreprise poétique (pour éviter d’employer l’idée encore un peu anachronique d’esthétique) ? Dans les deux cas, philosophie ou discours poétique, les idées formulées par le personnage se laissent délier de leur source énonciative, pour prétendre à l’universalité du vrai ou à l’expression d’une ambition créatrice singulière, mais dont Marianne n’est pas le siège. Elle dirait alors tout à fait vrai lorsqu’elle refuse le statut d’auteur, non par modestie plus ou moins fausse, par exemple, mais parce que que l’auteur est ailleurs, partout présent en même temps qu’apparemment absent. Ainsi le roman de Marivaux comporterait, pris dans le dispositif fictif qui le prête au personnage, tout un volume de « pensées » que l’on pourrait détacher du récit afin de les rapporter à un Marivaux, tout à tour moraliste, philosophe, ou homme de lettres. Dans ce cas, ce que dit Montesquieu dans ses Quelques réflexions peut nous aider à lire Marivaux :


Rien n'a plu davantage dans les Lettres persanes, que d'y trouver, sans y penser, une espèce de roman. On en voit le commencement, le progrès, la fin: les divers personnages sont placés dans une chaîne qui les lie. A mesure qu'ils font un plus long séjour en Europe, les moeurs de cette partie du monde prennent dans leur tête un air moins merveilleux et moins bizarre; et ils sont plus ou moins frappés de ce bizarre et de ce merveilleux, suivant la différence de leur caractères. D'un autre côté, le désordre croît dans le sérail d'Asie à proportion de la longueur de l'absence d'Usbek, c'est-à-dire à mesure que la fureur augmente et que l'amour diminue.
D'ailleurs, ces sortes de romans réussissent ordinairement, parce que l'on rend compte soi-même de sa situation actuelle; ce qui fait plus sentir les passions que tous les récits qu'on en pourrait faire. Et c'est une des causes du succès de quelques ouvrages charmants qui ont paru depuis les Lettres persanes
Enfin, dans les romans ordinaires, les digressions ne peuvent être permises que lorsqu'elles forment elles-mêmes un nouveau roman. On n'y saurait mêler de raisonnements, parce qu'aucuns des personnages n'y ayant été assemblés pour raisonner, cela choquerait le dessein et la nature de l'ouvrage. Mais, dans la forme des lettres où les facteurs ne sont pas choisis, et où les sujets qu'on traite ne sont dépendants d'aucun dessein ou d'aucun plan déjà formé, l'auteur s'est donné l'avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue.


Marianne serait alors par moments une sorte d’Usbek féminisé, inséré dans un dispositif simplifié, parce que privé de la polyphonie des Lettres persanes (qui sont par ailleurs sans doute moins polyphoniques que l’on pense), et nettement plus romanesque.


A l’opposé, ces réflexions de Marianne peuvent être envisagées à l’intérieur de la structure de l’oeuvre d’une manière qui interdirait de les en délier sans en fausser la portée. Elles ne seraient alors que des composantes du personnage - comme des manières de lui donner corps et vraisemblance - et des éléments du texte lui même, lequel se déploie à partir de la voix fictive d’un personnage qui se raconte et qui se plaît à penser. Aucun des éléments discursifs ou narratifs ne serait alors à privilégier ou à détacher de la totalité qui porterait seule le sens.
Ces possibilités engagent alors à la fois notre lecture du sujet et du roman, précisément à l’endroit où le sujet trouve son noyau problématique : la relation de la fiction avec la vérité.


Nous reviendrons plus tard sur ces difficultés liées à la relation entre les réflexions de Marianne et le récit de sa vie. Je voudrais maintenant proposer quelques remarques qui concernent, dans une perspective très large, la manière dont on peut comprendre la relation entre la « littérature » et le « réel » au temps de Marivaux.


A propos de l’imitation vraisemblable de la nature


Dans une très ample histoire de l’art, en général, et de la réflexion poétique en particulier, Marivaux écrit dans une ère, que l’on peut appeler classique par commodité, où l’art en général et le poème en particulier (au sens où le terme peut englober tout ce que nous nommerions aujourd’hui « littérature ») se laisse comprendre comme Imitation de la nature (« imitation » traduisant le grec mimesis utilisé par Aristote et Platon. On traduit plutôt aujourd'hui le mot Aristote par « représentation », ce qui modifie en partie les enjeux). C’est Aristote qui pose cette manière de comprendre l’art (dans la Poétique et dans la Physique), et, quelles que soient les variations dans la façon de comprendre cette définition mimétique de l'art, elle détermine le paradigme qui reste pertinent jusqu’au 19ème siècle.


Cela a des conséquences sur la manière dont le texte se rapporte à ce qu’il représente. Le roman, s’il veut prendre place parmi les genres « nobles » doit se faire poème, en cela qui devra lui aussi proposer une mimesis de la nature. Dans le cas du récit, ce qui fait l’objet de l’imitation, ce sont les actions. Le récit est imitation/représentation d’actions. Ce qui gouverne la relation entre l’imitation et le modèle, l’art et la nature, c’est l’idée de vraisemblance.


Le mode de sa production n’a pas chez Aristote d’importance, puisque ce qui importe pour lui est structurel. Cependant le roman de l’âge classique tendra à naturaliser aussi sa production, et il le fera majoritairement au 18ème siècle, en élisant deux modèles formels : celui de la correspondance et celui des mémoires. Il s’agit de rendre vraisemblables non seulement les actions représentées mais aussi l’acte de leur représentation. Le paradoxe est alors que c’est un surcroît d’artifice qui permet cette forme de vraisemblance, laquelle ajoute la la représentation des actions et des personnages deux nouvelles représentations, celle du ou des personnages qui racontent (qui portent la voix qu’est le texte en l’arrimant à un « je » initial et principiel) et celle de la forme de cette représentation par laquelle le récit que compose ce(s) personnage(s) imite une correspondance ou des mémoires. La source effective du récit, celui qui raconte « en vrai » s’effaçant derrière sa source fictive en même temps que le récit se met à ressembler à ce qu’il n’est pas (une correspondance, une narration rétrospective a la première personne où narrateur et auteur sont identiques). L’imitation de la nature se double du seconde imitation, celle d’une forme de discours ou de récit. Le roman est alors l’imitation d’une action et l’imitation d’autres textes, envisagés ici dans leur composantes formelles et leur inscription dans un espace d’écriture présupposé « véritable » : des vrais scripteurs, des vrais destinataires, des personnes et non des personnages, des événements ayant vraiment eu lieu, etc. Ce second plan d’imitation implique le paradoxe d’une vraisemblance obtenue par un surcroît d’artifice. Par ailleurs, il dissimule la part de fiction impliquée dans cet espace de vérité présupposée. La lettre peut inventer, mentir, composer avec les faits, et, plus généralement impliquer elle aussi toutes les formes de fictions possible. Il en va de même pour les mémoires. Ce qui est surtout utile pour nous, c’est que la lettre comme les mémoires peuvent recourir à des modèles fictifs dans leur écriture. On y reviendra : il y a de la fiction dans le réel (et aussi du réel dans la fiction). On pourra alors s’appuyer sur cette Manière de dialectiser le rapport pour u e troisième partie de dissertation.


Ce qui assure la qualité de l’imitation, la manière dont l’art se rapporte à la nature, c’est la notion de vraisemblance, qui a pu être comprise de façon très différente, et parfois opposée aux valeurs de la notion chez Aristote (pour autant qu’on puisse les connaître). Le vraisemblable est ici une forme de liaison entre les causes et les conséquences qui est en retrait par rapport à la forme la plus parfaite, celle du nécessaire. Dans l’ordre du nécessaire les événements se produisent toujours de la même manière, parce qu’il est impossible qu’il en aille autrement. C’est le cas du mouvement des astres, par exemple. L’ordre du nécessaire est ontologiquement supérieur à celui du vraisemblable. Dans cet espace dégradé, celui du monde sublunaire, la seule régularité dont les événements sont capables est celle du « ça se passe le plus souvent comme ça » (c’est la raison pour laquelle Aristote ne peut donner aucun sens à une science de la nature qui serait mathématique : on ne peut pas décrire avec la rationalité du nécessaire ce qui relève au mieux du vraisemblable).


Pour revenir un temps à notre sujet, c’est précisément l’idée d’une permanente identité à soi-même qui est invraisemblable parce qu’elle ne peut être conforme à l’univers « mal fichu » des choses humaines. Une telle permanence arracherait l’homme à sa nature, le diviniserait, l’idéaliserait de façon mensongère.


C’est par ailleurs justement parce qu’elle repose sur la rationalité dégradée mais tout de même haute du vraisemblable que la fiction tragique est supérieure à la représentation historique ; elle est plus philosophique, ce qui signifie qu’elle est plus proche de l’universel qui caractérise le nécessaire. Là où l’histoire est véridique mais particulière (elle raconte comment s’est produit un événement unique), la fable tragique généralise : elle envisage des actions dont la nature est plus proche de l’universel nécessaire. En cela, elle nous apprend davantage.


Cette idée selon laquelle l’imitation poétique est plus proche de l’universel que l’imitation historique pourra être utile lorsqu’on essayera de donner corps à l’idée selon laquelle l’agencement des actions en système en quoi consiste le récit en général et la VDM en particulier est porteur de vérité. Elle permettra aussi d’envisager la relation qu’instaure la VDM entre personnages et personnes. Même si le personnage cesse d’être un type figé (le héros de roman), il ne devient pas pour autant l’imitation d’une personne singulière (dans le cadre d’une « histoire véritable », où la notion renverrait à un modele historiographe que.


Ce qui est au centre de la conception aristotélicienne du récit ce sont en effet ses composantes structurelles. L’imitation d’action en quoi consiste le récit a commencement, milieu et fin. Elle forme une totalité organique, dont les liaisons sont essentiellement logiques (et non temporelles). Les événements du récit ne se suivent pas, il s’engendrent selon des liens logiques de causes et de conséquences. Ils s’expliquent les uns par les autres. Il revient à l’intrigue, à la mise en intrigue (je suis ici Paul Ricoeur), de produire cet agencement des faits en quoi le récit consiste. C’est cet agencement que crée le poète authentique, qui assure l’essentiel de la fonction imitatrice de la fable. Cet agencement n’est pas donné, il est produit, et en cela résulte de l’art (au sens de technique et de fabrication humaine) mais il garantit par ailleurs la fonction imitative de la fable dès lors qu’il respecte la légalité au second degré qu’est la vraisemblance. C’est ainsi que l’artifice procure des instruments capables de procurer une intelligence de la nature.


Les liaisons causales qui sont à l’oeuvre dans la nature risquent de nous échapper par le caractère enchevêtré et infiniment complexe de la manière dont les événements nous apparaissent. Il appartient à la fable de produire des totalités rationnelles et logiques, et en cela vraisemblables, qui nous permettent en retour de percevoir et de comprendre la rationalité propre à l’univers des actions humaines. Dès lors le récit contribue à rendre intelligible le monde des actions.


Pour en finir avec le long détour, j’ajoute que pour Aristote la rationalité de la nature repose sur l’idée de finalité. Chez lui beauté et finalité sont pratiquement synonymes. Or, cette finalité naturelle est tellement parfaite qu’elle risque de passer inaperçue. Dans la nature on ne distingue pas les moyens et les fins, la forme et la matière. C’est dans l’art que cette distinction est visible, justement parce que l’art est imparfait, ontologiquement moindre que ce qu’il imite. C’est dans l’art qu’on peut voir la différence entre forme et matière, qu’on distingue des moyens et des fins. On peut donner la même forme à des matières différentes, des formes différentes à la même matière, on peut utiliser divers moyens pour la même fin, on peut réussir plus ou moins, on peut échouer. C’est le monde de l’art qui nous permet de comprendre la notion de finalité. Or, pour Aristote, s’il y a de la finalité dans l’art, il y en a encore plus dans la nature. Seulement l’adéquation des moyens à la fin, de la matière à la forme y est tellement parfait que la finalité pourrait rester invisible (comme elle l’est par exemple aux matérialistes). Ainsi, c’est l’imperfection de l’art, le déficit de la copie par rapport au modele, qui permet justement de percevoir l’essence de l’objet imité, la vérité de la nature.


Aussi, la poésie est philosophique en cela qu’elle nous permet d’apprendre ce que sans elle nous n’aurions jamais vu. Ici comme ailleurs, l’homme apprend d'en imitant, par l’imitation, et c’est là que se trouve la source du plaisir que l’on prend à considérer les imitations.


Pour revenir au sujet peu à peu, on pourra alors envisager un romanesque qui nous éloigne de la vérité par une idéalisation qui tourne le dos à l’imperfection apparente des choses humaines (leur instabilité relative) et de de leur nature, et qui en cela ne nous donne aucun instrument pour les connaître et les comprendre, et un autre romanesque, qui repose sur le vraisemblable (ce que song et ce que font les hommes la plupart du temps) qui nous permet d’accéder à une certaine intelligence de leurs actions, de leurs réactions et de leurs affections.









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