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Cours et détours

Complément du cours Poésie L3 sur la poésie au XXe siècle

17 Avril 2015 , Rédigé par J.-Luc Martine Publié dans #CAPES Poésie

Voici quelques compléments rapides qui pourraient vous être utiles. Ils proviennent pour l'essentiel de l'ouvrage dirigé par Michel Jarrety, La Poésie française du Moyen Âge au XXe siècle, au PUF.

Comme vous le savez, les siècles littéraires ne coïncident pas avec ceux du calendrier. Répondre à la question de savoir quand commence le XXe siècle n'est pas sans importance. On a pris l'habitude de voir commencer ce siècle avec l'année 1913. C'est la fin de l'œuvre de Péguy, qui est largement solitaire en son temps, mais c'est aussi la publication d'Alcools d'Apollinaire et celle du début de La Recherche du temps perdu (Du Côté de chez Swann). Cependant, des œuvres poétiques importantes voient le jour dans la décennie qui précède. C'est le cas de celles de Jammes et de Péguy, libérées de toute doctrine, ainsi que celle de Claudel, puissante et imposante. 1898, c'est l'année de la mort de Mallarmé, le symbolisme s'éloigne, et s'affirme une poésie plus simple, plus proche de la nature et de la vie, qui tourne le dos aux artifices et aux raffinements pour revenir vers une écriture plus proche et plus humaine. Francis Jammes est le meilleur représentant de cela. Dès son premier recueil, De l'Angelus de l'aube à l'angélus du soir (1898), il se libère des doctrines et s'éloigne de toute théorie, pour s'attacher à une parole simple, à un univers familier dans une poésie largement ouverte au monde. La poésie de Jammes ira vers une inspiration religieuse, dont témoigne L'Eglise habillée de feuilles (1906), où peindre le vrai revient à faire la louange de Dieu.

 

Francis James, Rosaire, L'Eglise habillée de feuilles , 1906 Les mystères joyeux

L’adolescente fait murmurer sa fenêtre Qu’elle ouvre à son réveil en s’y épanouissant. Fleur de camélia, sa joue est rougissante. L’enfant reçoit l’air vif, referme, et va se mettre A genoux. Et sa bouche, ainsi que deux pétales Par l’aube détachés d’une rose Bengale, Effeuille avec ferveur, vers la nacre des cieux, De son chapelet blanc les Mystères joyeux : Annonciation. Par l’arc-en-ciel sur l’averse des roses blanches Par le jeune frisson qui court de branche en branche Et qui a fait fleurir la tige de Jessé ; Par les Annonciations riant dans les rosées Et par les cils baissés des graves fiancées : Je vous salue, Marie. Visitation. Par l’exaltation de votre humilité et par la joie du cœur des humbles visités ; par le Magnificat qu’entonnent mille nids, Par les lys de vos bras joints vers le Saint-Esprit Et par Elisabeth, treille où frémit un fruit : Je vous salue, Marie. Nativité. Par l’âne et par le bœuf, par l’ombre et par la paille, Par la pauvresse à qui l’on dit qu’elle s’en aille, Par les nativités qui n’eurent sur leurs tombes Que les bouquets du givre aux ailes de colombes ; Par la vertu qui lutte et celle qui succombe : Je vous salue, Marie. Purification. Par votre modestie offrant des tourterelles, Par le vieux Siméon pleurant devant l’autel, Par la prophétesse Anne et par votre mère Anne, Par l’obscur charpentier qui courbé sur sa canne, Suivait avec douceur les petits pas de l’âne : Je vous salue, Marie. Invention de Notre Seigneur au Temple. Par la mère apprenant que son fils est guéri, Par l’oiseau rappelant l’oiseau tombé du nid, Par l’herbe qui a soif et recueille l’ondée, Par le baiser perdu par l’amour redonné, Et par le mendiant retrouvant sa monnaie : Je vous salue, Marie. Ainsi que Crusoë dans son île déserte, Le poète guette, à l’amère solitude, Quel voile apportera la béatitude, A son exil. La mer, comme une porte ouverte, Semble donner l’espoir qu’apparaîtra soudain Le bateau qui rira à l’horizon d’étain. Et la fièvre prend le poète sur la grève. Il croit voir cette voile. Il n’y a pourtant rien Que le toujours pareil si accablant du rêve. Le poète agonise. Il a soif, il a faim. Sa passion lui tend du fiel et du vinaigre. Et les seuls fruits offerts au naufragé par Dieu, Ce sont les fruits des cinq Mystères douloureux : Les mystères douloureux Le poète agonise. Il a soif, il a faim, sa passion lui tend du fiel et du vinaigre. Et les seuls fruits offerts au naufragé par Dieu, ce sont les fruits des cinq mystères douloureux : Agonie Par le petit garçon qui meurt près de sa mère tandis que des enfants s'amusent au parterre, et par l'oiseau blessé, qui ne sait pas comment son aile tout-à-coup s'ensanglante et descend ; par la soif et la faim et le délire ardent : Je vous salue, Marie. Flagellation Par les gosses battus, par l'ivrogne qui rentre, par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre, et par l'humiliation de l'innocent châtié ; par la vierge vendue qu'on a déshabillée, par le fils dont la mère a été insultée : Je vous salue, Marie. Couronnement d'épines Par le mendiant qui n'eut d'autre couronne que le vol des frelons, amis des vergers jaunes ; et d'autre sceptre qu'un bâton contre les chiens ; par le poète dont saigne le front qui est ceint des ronces des désirs que jamais il n'atteint : Je vous salue, Marie. Portement de croix Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids s'écrie : "Mon Dieu !" ; par le malheureux dont les bras ne purent s'appuyer sur une amour humaine ; comme la croix du Fils sur Simon de Cyrène par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne : Je vous salue, Marie. Crucifiement Par les quatre horizons qui crucifient le monde, par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe, par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains ; par le malade que l'on opère et qui geint et par le juste mis au rang des assassins : Je vous salue, Marie.

Le tout début du siècle est également marqué par l'œuvre de Claudel, qui est animée par une relation au monde qui est aussi une relation avec le sacré. C'est dans cette relation avec le monde sensible que s'installe la poésie de Claudel. L'univers est toujours en mouvement, et il se constitue en partie dans le regard que nous portons sur lui, mais en retour il détermine  ce que nous sommes. La parole poétique est alors profondément reliée à la réalité qu'elle représente, qu'elle éclaire et qu'elle rend compréhensible. La cohérence du langage ordonne le monde et rend sensible à son harmonie. La régularité maîtrisée de la prosodie classique ne peut pas convenir à la volonté de donner forme à une totalité vivante et puissante. Il aura besoin du verset, du vers d'ampleur irrégulière. et de son phrasé, où le rythme suit le rythme profond de la pensée et de ses pulsations. "Le vers essentiel et primordial est une idée isolée par du blanc".

C'est dans les monologues lyriques des Cinq grandes odes que s'affirme le mieux cette ambition. L'ode est ici détachée de toute régularité stricte, les vers s'ordonnent en strophes d'ampleur variable, et c'est la musicalité du rythme qui ordonne ces morceaux isolés par la mise en page, et qui leur permet de ne pas se confondre avec la prose.

Paul Claudel, "L’Esprit et l’eau", Cinq grandes odes , 1910.

Après le long silence fumant, Après le grand silence civil de maints jours tout fumant de rumeurs et de fumées, Haleine de la terre en culture et ramage des grandes villes dorées, Soudain l’Esprit de nouveau, soudain le souffle de nouveau, Soudain le coup sourd au cœur, soudain le mot donné, soudain le souffle de l’Esprit, le rapt sec, soudain la possession de l’Esprit! Comme dans le ciel plein de nuit avant que ne claque le premier feu de foudre. Soudain le vent de Zeus dans un tourbillon plein de pailles et de poussières avec la lessive de tout le village! Mon Dieu, qui au commencement avez séparé les eaux supérieures des eaux inférieures, Et qui de nouveau avez séparé de ces eaux humides que je dis, L’aride, comme un enfant divisé de l’abondant corps maternel, La terre bien chauffante, tendre-feuillante et nourrie du lait de la pluie, Et qui dans le temps de la douleur comme au jour de la création saisissez dans votre main toute-puissante L’argile humaine et l’esprit de tous côtés vous gicle entre les doigts De nouveau après les longues routes terrestres, Voici l’Ode, voici que cette grande Ode nouvelle vous est présente, Non point comme une chose qui commence, mais peu à peu comme la mer qui était là, La mer de toutes les paroles humaines avec la surface en divers endroits Reconnue par un souffle sous le brouillard et par l’œil de la matrone Lune !

 

C'est à cet endroit, entre 1813 et 1818, entre Alcools et les Calligrammes, que s'inscrit l'œuvre d'Apollinaire, sur laquelle je ne reviens pas puisque nous en avons vu les principaux aspects. C'est également dans les années 1912-1913 que prennent place les premières œuvres de Cendrars, Les Pâques à New-York (1912) et La prose du transsibérien (1913). C'est aussi en 1913 que Paul Valéry, après avoir oublié ses premiers poèmes vers 1891, reviens à la poésie avec La Jeune Parque, qui sera publiée en 1917. C'est entre 1917 et 1922, date du recueil Charmes, que se situe la part majeure de l'œuvre de Valéry, dont Le cimetière marin donne sans doute le meilleur exemple.

Le mouvement qui finira par s'appeler le surréalisme prend naissance comme un réaction à la 1ère guerre. L'absurdité de ce choc engendre une révolte profonde qui se déploiera peu à peu dans le champ littéraire. En 1919, Aragon, Breton et Soupault créent la revue Littérature, qui s'appelle ainsi par antiphrase. Il seront vite rejoints par Eluard et Péret. Le point de rupture se marque dans l'invention par Breton et Soupault de l'écriture automatique, dont les résultats paraîtront en 1920 dans les Champs magnétiques.

Les premiers surréalistes rejoignent par ailleurs le mouvement Dada, fondé à Zürich en 1916, et dont le chef de file, Tristan Tzara s'installe à Paris en 1920. Pour les dadaïstes il y a rupture avec tout héritage littéraire et toute culture, au profit de l'arbitraire pur, de la totale spontanéité du langage, du refus de tous les codes artistiques, et d'une violence jubilatoire et libératrice. Les surréalistes cherchent à dépasser cette négation pure, tout en conservant un caractère de révolte qui reste fondateur. L'essentiel de l'histoire du surréalisme se joue entre 1922 et 1932, date du départ d'Aragon. La recherche sur le langage et sa libération est au centre, comme le montre le Manifeste de 1924, qui définit ainsi le surréalisme :

Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. Une place centrale est donnée à l'imagination, au rêve et a l'inconscient.

A la naissance du surréalisme, l'écriture automatique constitue la rupture décisive : la liberté du langage s'affirme pour débarrasser l'écriture de tous ces artifices factices. Laissées libres ou retravaillées ces écritures placent au centre une nouvelle conception de l'image poétique - métaphore, comparaison, analogie - où surgit de l'inattendu, et où la beauté résulte de la puissance d'un choc, d'un conflit entre les termes rapprochés.

André Breton, Clair de terre, Union libre

Ma femme à la chevelure de feu de bois Aux pensées d'éclairs de chaleur A la taille de sablier Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche A la langue d'ambre et de verre frottés Ma femme à la langue d'hostie poignardée A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux A la langue de pierre incroyable Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre Et de buée aux vitres Ma femme aux épaules de champagne Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace Ma femme aux poignets d'allumettes Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur Aux doigts de foin coupé Ma femme aux aisselles de martre et de fênes De nuit de la Saint-Jean De troène et de nid de scalares Aux bras d'écume de mer et d'écluse Et de mélange du blé et du moulin Ma femme aux jambes de fusée Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir Ma femme aux mollets de moelle de sureau Ma femme aux pieds d'initiales Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent Ma femme au cou d'orge imperlé Ma femme à la gorge de Val d'or De rendez-vous dans le lit même du torrent Aux seins de nuit Ma femme aux seins de taupinière marine Ma femme aux seins de creuset du rubis Aux seins de spectre de la rose sous la rosée Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours Au ventre de griffe géante Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical Au dos de vif-argent Au dos de lumière A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire Ma femme aux hanches de nacelle Aux hanches de lustre et de pennes de flèche Et de tiges de plumes de paon blanc De balance insensible Ma femme aux fesses de grès et d'amiante Ma femme aux fesses de dos de cygne Ma femme aux fesses de printemps Au sexe de glaïeul Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens Ma femme au sexe de miroir Ma femme aux yeux pleins de larmes Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée Ma femme aux yeux de savane Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu.

L'empreinte de ce culte libérateur de l'image se retrouve chez tous ceux qui sont passés pas le surréalisme. Chez Eluard, par exemple, on retrouve cette force des analogies surprenantes, mais ce dernier garde ses distances avec la radicalité de Breton, en ce qu'il conserve toute sa place à l'expérience du monde sensible. La poésie chez Eluard se déploie dans un mode innocent et lumineux, où il n'y a pas de séparation nette entre le monde et le regard qui le perçoit. D'où une pratique de l'image qui en passe par la surprise de l'insolite, mais où le lecteur peur retrouver une expérience malgré tout familière, une sorte de reconnaissance du sens, qui dépasse et transcende la surprise initiale. ‘

’Leurs yeux toujours purs’’, Capitale de la douleur, 1926 ​

Jours de lenteur, jours de pluie, ​Jours de miroirs brisés et d’aiguilles perdues, ​Jours de paupières closes à l’horizon des mers, ​D’heures toutes semblables, jours de captivité, ​Mon esprit qui brillait encore sur les feuilles ​Et les fleurs, mon esprit est nu comme l’amour, ​L’aurore qu’il oublie lui fait baisser la tête ​Et contempler son corps obéissant et vain. ​Pourtant j’ai vu les plus beaux yeux du monde, ​Dieux d’argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains, ​De véritables dieux, des oiseaux dans la terre ​Et dans l’eau, je les ai vus. ​Leurs ailes sont les miennes, rien n’existe ​Que leur vol qui secoue ma misère, ​Leur vol de terre, leur vol de pierre ​Sur les flots de leurs ailes, ​Ma pensée soutenue par la vie et la mort.

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