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Cours et détours

article philosophie (2)

28 Septembre 2018 , Rédigé par J.-Luc Martine Publié dans #M2 A quoi pense la fiction ?

PHILOSOPHIE, s. f. Philosophie signifie, suivant son étymologie, l'amour de la sagesse. Ce mot ayant toujours été assez vague, à cause des diverses significations qu'on y a attachées, il faut faire deux choses dans cet article ; 1°. rapporter historiquement l'origine & les différentes acceptions de ce terme ; 2°. en fixer le sens par une bonne définition.

 

1°. Ce que nous appellons aujourd'hui Philosophie, s'appelloit d'abord sophie ou sagesse ; & l'on sait que les premiers philosophes ont été décorés du titre de sages. Ce nom a été dans les premiers tems ce que le nom de bel esprit est dans le nôtre ; c'est-à-dire qu'il a été prodigué à bien des personnes qui ne méritoient rien moins que ce titre fastueux. C'étoit alors l'enfance de l'esprit humain, & l'on étendoit le nom de sagesse à tous les arts qui exerçoient le génie, ou dont la société retiroit quelque avantage ; mais comme le savoir, l'erudition est la principale culture de l'esprit, & que les sciences étudiées & réduites en pratique appportent bien des commodités au genre humain, la sagesse & l'érudition furent confondues ; & l'on entendit par être versé ou instruit dans la sagesse, posséder l'encyclopédie de ce qui etoit connu dans le siecle où l'en vivoit.

Entre toutes les Sciences, il y en a une qui se distingue par l'excellence de son objet ; c'est celle qui traite de la divinité, qui regle nos idées & nos sentimens à l'égard du premier être, & qui y conforme notre culte. Cette étude étant la sagesse par excellence, a fait donner le nom de sages à ceux qui s'y sont appliqués, c'est-à-dire aux Théologiens & aux Prêtres. L'Ecriture elle-même donne aux prêtres chaldéens le titre de sages, sans doute parce qu'ils se l'arrogeoient, & que c'étoit un usage universellement reçu. C'est ce qui a eu lieu principalement chez les nations qu'on a coutume d'appeller barbares ; il s'en falloit bien pourtant qu'on pût trouver la sagesse chez tous les dépositaires de la religion. Des superstitions ridicules, des mysteres puériles, quelquefois abominables ; des visions & des mensonges destinés à affermir leur autorité & à en imposer à la populace aveugle, voilà à quoi se réduisoit la sagesse des prêtres de ces tems. Les philosophes les plus distingués ont essayé de puiser à cette source : c'étoit le but de leurs voyages, de leur initiation aux mysteres les plus célebres ; mais il s'en sont bientôt dégoûtés, & l'idée de la sagesse n'est demeurée liée à celle de la Théologie que dans l'esprit de ces prêtres orgueilleux & de leurs imbécilles esclaves.

De sublimes génies se livrant donc à leurs méditations, ont voulu déduire des idees & des principes que la nature & la raison fournissent, une sagesse solide, un systeme certain & appuyé sur des fondemens inebranlables ; mais s'ils ont pu secouer par ce moyen le joug des superstitions vulgaires, le reste de leur entreprise n'a pas eu le même succès. Après avoir détruit, ils n'ont su edifier, semblables en quelque sorte à ces conquérans, qui ne laissent après eux que des ruines. De-là cette foule d'opinions bisarres & contradictoires, qui a fait douter s'il restoit encore quelque sentiment ridicule, dont aucun philosophe ne se fut avisé. Je ne puis m'empécher de citer un morceau de M. de Fontenelle, tiré de sa dissertation sur les anciens & sur les modernes, qui revient parfaitement à ce sujet.

« Telle est notre condition, dit-il, qu'il ne nous est point permis d'arriver tout-d'un-coup à rien de raisonnable sur quelque matiere que ce soit: il faut avant cela que nous nous égarions long-tems, & que nous passions par diverses sortes d'erreurs, & par divers degrés d'impertinences. Il eût toujours dû être bien facile de s'aviser que tout le jeu de la nature consiste dans les figures & dans les mouvemens des corps ; cependant avant que d'en venir-là, il a fallu essayer des idées de Platon, des nombres de Pythagore, des qualités d'Aristote ; & tout cela ayant été reconnu pour faux, on a été réduit à prendre le vrai systéme. Je dis qu'on y a été réduit, car en vérité il n'en restoit plus d'autre ; & il semble qu'on s'est défendu de le prendre aussi long-tems qu'on a pû. Nous avons l'obligation aux anciens de nous avoir épuisé la plus grande partie des idées fausses qu'on se pouvoit faire ; il falloit absolument payer à l'erreur & à l'ignorance le tribut qu'ils ont payé, & nous ne devons pas manquer de reconnoissance envers ceux qui nous en ont acquittés. Il en va de même sur diverses matieres, où il y a je ne sai combien de sottises que nous dirions si elles n'avoient pas été dites, & si on ne nous les avoit pas pour ainsi dire enlevées. Cependant il y a encore, quelquefois des modernes qui s'en ressaisissent, peut-être parce qu'elles n'ont pas encore été dites autant qu'il le faut ».

Ce seroit ici le lieu de tracer un abrégé des divers sentimens qui ont été en vogue dans la Philosophie ; mais les bornes de nos articles ne le permettent pas. On trouvera l'essentiel des opinions les plus fameuses dans divers autres endroits de ce Dictionnaire, sous les titres auxquels elles se rapportent. Ceux qui veulent étudier la matiere à fond, trouveront abondamment de quoi se satisfaire dans l'excellent ouvrage que M. Brucker a publié d'abord en allemand, & ensuite en latin sous ce titre : Jacobi Bruckeri historia critica Philosophioe. à mundi incunabulis ad nostram usque aetatem deducta. On peut aussi lire l'histoire de la Philosophie par M. Deslandes.

L'ignorance, la précipitation, l'orgueil, la jalousie, ont enfante des monstres bien flétrissans pour la Philosophie, & qui ont détourné les uns de l'etudier, ou jetté les autres dans un doute universel.

N'outrons pourtant rien. Les travers de l'esprit humain n'ont pas empêché la Philosophie de recevoir des accroissemens considérables, & de tendre à la perfection dont elle est susceptible ici bas. Les anciens ont dit d'excellentes choses, sur-tout sur les devoirs de la morale, & même sur ce que l'homme doit à[page 12:512]Dieu ; & s'ils n'ont pû arriver à la belle idée qu'ils se formoient de la sagesse, ils ont au-moins la gloire de l'avoir conçue & d'en avoir tenté l'épreuve. Elle devint donc entre leurs mains une science pratique qui embrassoit les vérités divines & humaines, c'est-à-dire tout ce que l'entendement est capable de découvrir au sujet de la divinité, & tout ce qui peut contribuer au bonheur de la société. Dès qu'ils lui eurent donné une forme systèmatique, ils se mirent à l'enseigner, & l'on vit naître les écoles & les sectes ; & comme pour faire mieux recevoir leurs préceptes ils les ornoient des embellissemens de l'éloquence, celle-ci se confondit insensiblement avec la sagesse, chez les Grecs sur-tout, qui faisoient grand cas de l'art de bien dire, à cause de son influence sur les affaires d'état dans leurs republiques. Le nom de sage fut travesti en celui de sophiste ou maitre d'eloquence ; & cette révolution fit beaucoup dégénérer une science qui dans son origine s'etoit propolée des vûes bien plus nobles. On n'écouta bientôt plus les maîtres de la sagesse pour s'instruire dans des connoissances solides & utiles à notre bien-être, mais pour repaitre son esprit de questions curieuses, amuser ses oreilles de périodes cadencées, & adjuger la palme au plus opiniâtre, parce qu'il demeuroit maitre du champ de bataille.

Le nom de sage étoit trop beau pour de pareilles gens, ou plutôt il ne convient point à l'homme : c'est l'apanage de la divinité, source eternelle & inépuipuisable de la vraie sagesse. Pythagore qui s'en apperçut, substitua à cette denomination fastueuse le titre modeste de philosophe, qui s'établit de maniere qu'il a été depuis ce tems-là le seul usité. Mais les sages raisons de ce changement n'étoufferent point l'orgueil des Philosophes, qui continuerent de vouloir passer pour les dépositaires de la vraie sagesse. Un des moyens les plus ordinaires dont ils se servirent pour se donner du relief, ce fut d'avoir une prétendue doctrine de réserve, dont ils ne faisoient part qu'à leurs disciple, affidés, tandis que la foule des auditeurs étoit repue d'instructions vagues. Les Philosophes avoient sans doute pris cette idee & cette méthode des prêtres, qui n'initioient à la connoissance de leurs mysteres qu'après de longues épreuves ; mais les secrets des uns & des autres ne valoient pas la peine qu'on se donnoit pour y avoir part.

Dans les ouvrages philosophiques de l'antiquité qui nous ont été conservés, quoiqu'il y regne bien des defauts, & sur-tout celui d'une bonne méthode, on découvre pourtant les semences de la plûpart des découvertes modernes. Les matieres qui n'avoient pas besoin du secours des observations & des instrumens, comme le sont celles de la morale, ont été poussées aussi loin que la raison pouvoit les conduire. Pour la Physique, il n'est pas surprenant que favorisée des secours que les derniers siecles ont fournis, elle surpasse aujourd'hui de beaucoup celle des anciens. On doit plutôt s'étonner que ceux-ci aient si bien deviné en bien des cas où ils ne pouvoient voir ce que nous voyons à-présent. On en doit dire autant de la Médecine & des Mathématiques ; comme ces sciences sont composées d'un nombre infini de vûes, & qu'elles dépendent beaucoup des expériences que le hasard seul fait naître, & qu'il n'amene pas à point nommé, il est évident que les Physiciens, les Medecins & Mathématiciens doivent être naturellement plus habiles que les anciens.

 

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