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Cours et détours

Agrégation Marivaux Cours 1 & 2 (quatrième partie)

22 Octobre 2018 , Rédigé par J.-Luc Martine Publié dans #Agrégation Marivaux

 

 

DE LA DOUBLE INCONSTANCE À LA FAUSSE SUIVANTE

 

 

Le Prince travesti (1724)

 

Le Prince travesti ou l’Illustre Aventurier est une comédie héroïque et romanesque (une tragicomédie ? il y a pour cette pièce un problème d’affiliation générique) en trois actes et en prose, créée pour la première fois le 5 février 1724 par les Comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne.

 

La pièce entretient des liens avec les précédentes et avec la suivante :

 

L’amour de Lélio et d’Hortense a trouvé son origine dans une rencontre qui précède le début de l’action. Cette rencontre antérieure à l’action, comme dans LDI (et dans Le Triomphe de l’amour) crée la possibilité et les données initiales de l’intrigue. Ici, Lélio a sauvé Hortense, alors mariée, d’une attaque de brigands. L’amour, inavoué de la part d’Hortense, mais parfaitement conscient était né entre eux.

 

Un arlequin, homme du peuple (d’origine paysanne) étranger à la Cour, qui fait la satire, mais qui aime le vin, le luxe et l’argent et les femmes et qui agit en nigaud (il est en cela plus conforme à son type italien).

 

Elle marque la poursuite chez Marivaux de l’emploi des masques, mais avec un déplacement des enjeux explicites. Lélio (le Prince de Léon) se déguise, afin de mieux connaître les hommes, il se fait passer pour un aventurier afin d'explorer le monde, de connaitre la nature humaine. Voici un extrait de la scène 4 de l’acte I, où le Prince dévoile son identité et ses intentions à Arlequin :

 

ARLEQUIN. Tenez, d’un autre côté, je m’imagine quelquefois que vous êtes quelque grand seigneur ; car j’ai entendu dire qu’il y a eu des princes qui ont couru la prétantaine pour s’ébaudir, et peut-être que c’est un vertigo qui vous a pris aussi.

LÉLIO, à part. Ce benêt-là se serait-il aperçu de ce que je suis… Et par où juges-tu que je pourrais être un prince ? Voilà une plaisante idée ! Est-ce par le nombre des équipages que j’avais quand je t’ai pris ? par ma magnificence ?

ARLEQUIN. Bon ! belles bagatelles ! tout le monde a de cela ; mais, par la mardi ! personne n’a si bon cœur que vous, et il m’est avis que c’est là la marque d’un prince.

LÉLIO. On peut avoir le cœur bon sans être prince, et pour l’avoir tel, un prince a plus à travailler qu’un autre ; mais comme tu es attaché à moi, je veux bien te confier que je suis un homme de condition qui me divertis à voyager inconnu pour étudier les hommes, et voir ce qu’ils sont dans tous les États1. Je suis jeune, c’est une étude qui me sera nécessaire un jour ; voilà mon secret, mon enfant.

ARLEQUIN. Ma foi ! cette étude-là ne vous apprendra que misère ; ce n’était pas la peine de courir la poste pour aller étudier toute cette racaille. Qu’est-ce que vous ferez de cette connaissance des hommes ? Vous n’apprendrez rien que des pauvretés.

LÉLIO. C’est qu’ils ne me tromperont plus.

ARLEQUIN. Cela vous gâtera.

LÉLIO. D’où vient ?

ARLEQUIN. Vous ne serez plus si bon enfant quand vous serez bien savant sur cette race-là. En voyant tant de canailles, par dépit canaille vous deviendrez.

LÉLIO, à part les premiers mots. Il ne raisonne pas mal. Adieu, te voilà instruit, garde moi le secret ; je vais retrouver la Princesse.

 

« Le déguisement du prince en jeune homme de bonne famille voyageant incognito – en possible aventurier, donc – obéit à des motifs tout aussi chargés de sens symboliques ; émule du voyageur du monde vrai, il lui faut effacer provisoirement le Prince pour mieux se préparer à régner, en apprenant à connaitre les hommes dans tous les États et tous leurs états. Ce qui implique qu’on ne puisse le faire lorsqu’ils ont intérêt à vous tromper : quel prince peut se vanter d’avoir accès au visage sous le masque, à la vérité diverses des hommes dans le cercle de sa cour. La princesse en fait la cruelle expérience sur la meilleure amie »

 

 

Il y a un double déguisement, puisque le Roi de Castille se fait passer, de son coté, pour son ambassadeur allant demander la main de la princesse de Barcelone.

 

Cette liaison entre masque et connaissance, masque et démasquage se verra placée au centre de la pièce suivante.

 

Surtout M. explore là pour la première fois les ressources théâtrales du secret.

 

« Car il ne faut pas croire que le masque appelle nécessairement une stratégie du secret menacé : à preuve LDI de 1723, où le Prince, Flaminia, Trivelin, Lisette, se composent des identités fictives pour détacher Silvia d’Arlequin, sans qu’aucune mise en péril du secret ne surgisse de ce canevas de manipulations des cœurs ingénus ».

 

Ce sera encore à peu près pareil dans Le Triomphe de l’amour de 1732, qui doit beaucoup à la F S.

 

Le PT a recours pour la première fois à cette dramaturgie du secret. Un double secret : identité de Lélio, son amour pour Hortense.

 

Ces secrets deviennent l’enjeu des convoitises. Toutes les énergies se mobilisent et se croisent pour le percer et pour le défendre ; « de sa possession dépendent la fortune, le pouvoir, l’amour, la vie ».

 

Par ailleurs, on y rencontre des âmes serviles, basses et ambitieuses, comme déjà dans LDI, elles se verront démasquées et défaites (comme dans la Fausse suivante), mais surtout elles y prennent un visage sombre et inquiétant : il s’agit de Frédéric, le ministre de la princesse, dont l’arrivisme prend une dimension politique, puisqu’il met l’appareil d’état au service de son ambition et qu’il n’hésite pas à détruire un rival qui pourrait l’évincer. Voici ce qu’en dit Henri Coulet :

 

« C’est la politique de Frédéric, elle ne se soucie ni des intérêts du peuple, ni de la morale qui enseigne l’égalité de tous les hommes, égalité sur laquelle Marivaux s’est clairement exprimé dans ses réflexions de moraliste et dans ses journaux. Or, Frédéric dirige depuis trente ans la politique de Barcelone, politique de dissimulation et de mépris, qui impose la servitude au peuple, et aux Grands (qu’ils soient ou non lucides sur leurs motifs) le déguisement et la ruse. (…) Loin d’être un méchant conventionnel, tenant un rôle secondaire, Frédéric est le puissant administrateur de la société et de l’État, comme « conseiller » de la Princesse, et non comme « premier secrétaire d’État », charge à laquelle il aspire et qui va être confiée à Lélio ».

 

Une autre source d’obscurité provient de la Princesse de Barcelone elle-même, dont la jalousie et la colère d’être trahie constituent une menace de mort pour les amants. « Il y a dans le théâtre de Marivaux des amants déçus, mystifiés, malheureux, il n’y en a pas dont l’amour soit aussi déchiré, aussi durement puni par la prison et par la perspective de la mort ».

 

Le Prince Travesti est l’une des pièces où Marivaux, journaliste et observateur de son temps, se fait le plus polémique : la pièce est censée se passer en Espagne, au XIIème siècle au moment de la guerre entre l’Aragon et la Castille. Mais c’est surtout la Régence qui est donnée à voir : période d’entre-deux où les valeurs de l’ancien régime battent de l’aile. Cette dimension se retrouvera dans La Fausse suivante, mais sur un plan privé.

 

Malgré ces rapprochements, comme l’indique F. Deloffre, « on ne pourrait trouver meilleur exemple que le Prince travesti pour illustrer la diversité de la production dramatique de Marivaux. Non seulement l’écrivain s’y écarte du thème de la surprise de l’amour qu’il avait plus ou moins traité dans les trois pièces précédentes, pour aborder un sujet fondé sur le jeu de passions déclarées et ouvertes, mais il pourvoit cette œuvre nouvelle d’une telle variété de ton, qu’elle est comme un défi à la notion de genre en vigueur à l’époque.

 

 

La Fausse suivante, ou le fourbe puni

 

La Fausse Suivante appartient à la même séquence dramaturgique, et touche même de très près Le Prince travesti dans cette étonnante année 1724, ou après la tragi-comédie du 5 février, on quitte quelques mois plus tard (le 6 juillet) le monde de la Cour, « ses Princes, ses prisons, ses ministres, ses valets, pour les embrouilles plus terre à terre, non moins perfides, de l’argent et du mariage chez gens de bonne compagnie » (J. Goldzink).

 

Mais avec un net infléchissement vers la noirceur. Les amours, peut-être innocentes en tout cas sincères, qui éclairaient les pièces précédentes de leur lumière claire et authentique laissent désormais toute la place au pur jeu cynique.

 

Une jeune femme en colère, déguisée en homme, se lance aux trousses d’un libertin cynique chasseur de dots, l’enjôle et le trompe, tout en enflammant au passage les cœurs de deux valets et celui d’une charmante comtesse.

 

L F S est une « comédie noire, qui fait au mal, à la pure méchanceté, au ressentiment un place unique dans le théâtre de Marivaux ».

 

Tirer le comique vers le sérieux, vers ces marges étranges déjà explorées sur le mode tragicomique dans Le Prince Travesti.

 

On est ici à l’un des bords extrêmes du théâtre de M. : la noirceur du mal, la jungle des intérêts et des désirs. Il y a là un risque en cas de débordement, de compromettre l’énergie comique (l’autre forme de ce risque est du côté de l’orientation morale de la comédie larmoyante de Destouches et Nivelle de la Chaussée (L’école mères et La Mère confidente, cet écart justifie le rapprochement des œuvres dans l’édition de JG)

 

Le secret. Dans LFS, comme dans LP travesti, les titres affichent le travail sur le travestissement » forme la plus spectaculaire du masque ». La F S pousse le jeu plus loin. Dans la tragi-comédie, M. expérimente pour la première fois les ressources dramatiques du secret. Ici, il y a surenchère.

 

La pièce résulte d’une double décision : reprendre les éléments d’une dissimulation dont la fin est de s’éclairer. Mais il ne s’agit plus ici d’un Prince qui entreprend de connaître les autres par-delà mensonges et flatterie, mais pour une jeune femme de faire l’épreuve de la véritable nature d’un prétendant (ce sera le point de départ du Jeu). Les enjeux se déplacent du politique vers le privé.

 

Marivaux ajoute à la dissimulation sociale une autre dissimulation, celle du sexe (ce sera au centre du Triomphe de l’amour) : il s’agit de se faire passer pour un homme, afin d’accéder à une transparence que les rapports de séduction ne rendent pas possible : Dans une logique de défi et de surenchère il y a superposition (succession) de deux masques sur le même visage. Cette décision est liée à une autre, qui exclut de la pièce tout sentiment amoureux authentique et partagé, le propos est par deux fois de se faire aimer sans aimer (Lélio et le faux chevalier), ce qui reprend la question d’un art de séduire, mais ici privé de réciprocité et maintenu sur le plan d’une machination où le cœur n’est pas engagé.

 

Lélio n’aime pas par rouerie de libertin, la jeune fille parce que la décence le lui interdit.

 

Cependant, à la différence de Flaminia, la jeune fille (tout comme Lélio) agit pour son propre compte, ce qui moralise en partie ses manigances : il s’agit de se sauver d’un danger potentiel, lié au fait d’être une femme dans un monde conduit par des hommes, puis de punir celui qui mérite de l’être.

 

Si le masque a ici une portée philosophique, il ne joue pas de rôle politique. Il permet de voir chez Lélio le dévoilement cynique sans amour aucun d’un coureur de dots, sous couvert de confidence entre hommes.

 

(Pour la suite, voir le texte de la présentation de la pièce par Goldzink que j’ai mis en ligne et que j’avais synthétisé en cours)

 

(Une leçon sur le masque permettra de préciser tout cela)

 

 

La fortune de LFS au théâtre comme signe de la manière dont on lit Marivaux : voir Henri Lagrave, « De quelques mises en scène modernes de La fausse suivante », article mis en ligne.

 

 

 

De la FS à la Dispute

 

1725 : L’Île des esclaves.

De 1725 à 1729

 

M. qui tente de s’imposer à la comédie française sans renoncer à son désir inventif connaît des fortunes diverses et parfois médiocre. Avec des comédies bien plus nettement philosophiques ou sociales ou à thèse. (L’Héritier de village 1725 ; L’Île de la raison 1727 ; La Seconde Surprise de l’amour 1727 ; Le Triomphe de Plutus 1728 ; La Nouvelle Colonie ou la ligue des femmes 1729). Cinq pièces qui précèdent le Jeu où il semble à la recherche d’un second souffle.

 

1730 : Le Jeu de l’amour et du hasard ressemble à une heureuse surprise à un abandon de la veine philosophique et satirique, dite utopique qui n’avait pas confirmé les attentes de 1725

 

Mais ce n’est pas un « retour à la manière italienne » (traits formels permanents : mise à distance anti mimétique du jeu théâtral chorégraphie des masques et parallélismes)

 

Forme qu’il faudrait remplir à la demande du public d’un « contenu de plus en plus réaliste et bourgeois.

 

La décennie 1730 – 1740 est d’une fécondité dont peu d’auteurs peuvent se targuer dans des genres aussi divers : du Jeu à l’Épreuve, de La Vie de Marianne au Paysan parvenu et au Cabinet du philosophe. De 1730 à 1737, expérimentations, innovations et verve créatrice.

 

1737 et Les Fausses confidences, dernière pièce en trois actes, suivie d’une sorte de crise qui tarit sa fécondité. Ensuite, épuisement créateur, mais encore de grandes œuvres : L’Épreuve (1740), La Dispute (1743), Les Acteurs de bonne foi (1757)

 

Tout semble se défaire un peu en même temps dans l’écriture de M. L’écriture journalistique qui n’égalera plus Le Cabinet de 1734.L’écriture romanesque qui s’éteint avec la dernière livraison de la vie de Marianne. Et l’écriture dramaturgique qui résiste finalement le mieux.

 

Épuisement créateur ?

 

Élection à l’Académie en 1742.

 

Fin des comédiens italiens (Lélio à la retraite, Arlequin Thomassin est à bout, Silvia proche de se retirer.

 

A partir de 42, Marivaux ne disparait pas, il s’estompe

 

 

La Dispute

 

Avec La Dispute, nous faisons donc un saut important dans l’œuvre de Marivaux, des premières années éclatantes à la fin, où M. ne renonce à rien, mais où on lit l’épuisement progressif du créateur. Depuis la représentation de l’Épreuve et l’achèvement des parties 9-11 de la Vie de Marianne en 1740, M. semble pour la première fois être un homme de lettres « arrivé », que les besoins matériels laissent en paix. Élu à l’Académie en décembre 1742, ily siège assidûment depuis sa réception en février 43. Pendant cette période, sa seule œuvre sont les Réflexions sur l’esprit humain, lus à l’Académie en 44, sans succès, et publié inachevé bien plus tard (dans le Mercure de juin 55)

 

On passe également de la Comédie italienne à la Comédie française. Même le déclin de la comédie italienne ne l’avait pas engagé à s’adresser au français. Mais, élu à l’Académie française, M. se devait de faire jouer sa petite comédie. Lue le 22 septembre 1744, elle est accueillie avec chaleur par la troupe, et montée rapidement. Le public (571) la rejeta si sévèrement qu’elle ne fut jouée qu’une fois le19 octobre, et disparut des scènes jusqu’en 1938. C’est à Patrice Chéreau (1973 puis 1976) qu’elle doit son renom et son éclat.

 

Ce saut, dans l’œuvre de M. néanmoins semble nous rapprocher de la première de nos pièces par la question qui justifie l’écriture et la mise en œuvre de cette allégorie philosophique : celle de l’inconstance. Après 1737, nous passons également à une autre forme, celle de la petite comédie en un acte.

 

Le problème de l’action chez M.

 

A la fin de ce premier parcours, on peut s’attacher à comprendre et à décrire l’action des trois pièces au programme.

 

Pour cela, il vous faut d’abord en maîtriser la structure, les contours et les composantes. Rien de mieux que d’en faire pour vous-même un résumé. Je vous donnerai bientôt une version numérisée du chapitre ou J Goldzink étudie l’action de LDI. qui nous dispense d’y passer trop de temps.

 

Je retiens ici des remarques qui permettent de poser le problème de l’action chez Marivaux, dont la compréhension participe de la construction d’une idée plus juste du marivaudage.

 

Le récit comme représentation d’action. Commencement, milieu fin péripéties...

 

Problème avec Marivaux : dès le 18e siècle on lui reproche de dissoudre l’action. Ou de l’étendre démesurément. Déficit et amenuisement de l’action.

 

La modernité voit chez lui une révolution : substitue le dire au faire, le langage comme enjeu de l’action. Dire l’amour.

 

Deloffre : alors que chez d’autres écrivains les paroles ne sont qu’un des signes visibles de l’action dramatique, elles en sont chez M. La matière, la trame même.

 

Action : vaincre ce qui empêche de dire (obstacles psychologiques, freins intérieurs, conventions sociales)

 

Action : faire passer de la confusion à la clarté, du langage inadéquat au langage du cœur.

 

Résumer l’action des pièces ?

 

De fait : difficulté de se souvenir nettement des intrigues et de les distinguer dans sa mémoire,

Tentation de reconstruire un système marivaudien

 

Une manière (marivaudage) qui l’emporterait sur la singularité de chaque action dramatique.

 

« L’argumentation est forte et elle touche des points essentiels : la dissolution, à quelques exceptions près, de l’opposition ; l’évanouissement de la  péripétie et du coup de théâtre ; la quasi disparition de la crise initiale ; l’intériorisation des conflits ; la confusion des désirs chez tout ou partie des personnages ; une résolution de l’incertitude qui pourrait survenir plus tôt ou plus tard, puisqu’elle va ou trop vite par rapport à la vraisemblance, ou trop lentement par rapport à ce que sait d’avance le spectateur, et qu’on ne lui cache pas ; la difficulté de scander nettement les étapes de l’action ».

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